lundi 31 août 2009

Le "Boströmgate": bientôt une issue?

Le "Boströmgate" (du nom du journaliste Donald Boström, désormais connu mondialement pour un article grotesque publié dans un tabloïd suédois) continue de faire du bruit en Suède.

Je consacre de nouveau un billet à ce sujet, car il me semble important de rappeler encore et encore que tous les Suédois -loin de là- ne tombent pas dans le panneau de la diabolisation d'Israël. Tous ne gobent pas les diffamations antijuives, même lorsqu'on tente de les déguiser en "critique" des autorités israéliennes.

La Suède, je ne le dirais jamais assez, est un pays qui mérite le plus grand respect. Même si parfois, inévitablement, disputes et malentendus surgissent, ça vaut le coup de les résoudre (et dans ce cas précis une résolution est peut-être en vue, voir la fin du billet). Oui, il y a des cons et des salauds en Suède. Ils écrivent des bouquins, gèrent des sites Internet, rédigent des articles ou passent à la télé. Et ils ne sont pas tous de droite... De ce point de vue, la Suède ressemble beaucoup à la France, au Canada, ou même à Israël.

* * *

Ce samedi 29 août, le quotidien suédois Dagens Nyheter publiait dans sa rubrique "Opinion" un court texte de Rikard Westerberg intitulé: "Du très mauvais journalisme, tout simplement".

Westerberg, dans le court espace mis à sa disposition, rend compte d'un débat entre Jan Helin (rédacteur en chef d'Aftonbladet) et Roland Poirier Martinsson, directeur d'une organisation que je découvre, le Timbro Medieinstitut (sorte de think tank libéral).

Westerberg a remarqué qu'au cours de ce débat (la vidéo sur le site de Timbro dure plus d'une heure... et n'est malheureusement pas sous-titrée), Helin s'est aventuré à expliquer qu'un article de la section culturelle "inte kräver lika solitt faktaunderlag som nyhetsartiklar" [n'exige pas une base factuelle aussi solide que les articles d'information - les "News"].

Il pousse alors la logique d'Aftonbladet jusqu'au bout (l'ambassadeur israélien Benny Dagan avait fait de même quelques jours avant) en écrivant que l'on pourrait, sur les mêmes principes (pas de preuves, juste des ragots, des rapprochements injustifiés, etc.) écrire un article sur le rôle des Juifs dans les attentats du 9/11.

Jan Helin répond à Rikard Westerberg sur son propre blog (Dagens Nyheter voulait bien publier un droit de réponse, à condition que Helin réduise la taille de sa réponse, ce qu'il a refusé de faire).

La réponse du rédac' chef d'Aftonbladet démontre une chose: il n'a toujours rien compris. Il continue à parler de "substance" à propos des "questions" soulevées par l'article de Boström. Il écrit noir sur blanc, le 30 août:
Ett 50-tal palestinska familjer fick tillbaka sina ihjälskjutna söner med uppsprättade och ihopsydda kroppar. Det faktumet ger en mycket konkret och legitim grund för att kräva svar på vad som hänt från de israeliska myndigheter som ostridigt bär ansvar för pojkarnas död och hanteringen av deras lik. Men enligt den skolas logik som Rikard Westerberg är elev i är dessa människors anklagelser och oro inte något värd. Efter att deras söner skjutits ihjäl bör vi också tiga ihjäl deras frågor eftersom vi annars riskerar att sprida antisemitism.

[Une cinquantaine de familles palestiniennes ont récupéré leurs fils, abattus par balle, leurs corps ouverts puis recousus]
Remarquons d'emblée que Jan Helin évite encore toute référence aux autopsies pratiquées en Israël en cas de mort violente. Il préfère utiliser une expression très vague qui sert mieux ses intérêts. Cet "oubli" est d'autant plus étrange qu'Aftonbladet a publié -le 23 août- une entrevue sur ce sujet avec un porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Yigal Palmor: Vi obducerar, det är rutin [Nous faisons des autopsies, c'est la procédure]. Jan Helin lit-il son propre journal? Ou bien considère-t-il, tout simplement, qu'un porte-parole du gouvernement israélien ne peut que mentir?
[Ce fait -continue Helin- donne une base très concrète et légitime pour exiger une réponse des autorités israéliennes sur ce qui s'est passé. Ces autorités sont responsables de la mort de ces garçons, ainsi que de la façon dont leurs cadavres ont été traités. Mais selon la logique de l'école de pensée à laquelle appartient Rikard Westerberg, les accusations et l'inquiétude de ces gens n'ont aucune valeur. Après que leurs garçons ont été tués par balle nous devrions en plus étouffer leurs questions par notre silence, car sinon nous risquerions de répandre l'antisémitisme.]
Résumons. Pour obtenir un article avec une base factuelle suffisamment "béton" pour être publié dans Aftonbladet, il suffit de :

- ne pas s'appesantir sur l'historique des "faits" (on évitera par exemple de rappeler que la légende du vol d'organes par les Juifs n'est pas une nouveauté au Moyen-Orient),

- rapprocher des éléments sans aucun lien objectif entre eux, par exemple une enquête du FBI en 2009 et le corps d'un Palestinien autopsié en 1992; du moment qu'au moins un Juif puisse être impliqué dans un cas comme dans l'autre suffit à établir un "fait indéniable",

- éviter les termes scientifiques (trop précis, ça tue le suspense!); plutôt qu'écrire "Les victimes de mort violente sont autopsiées", on choisira plutôt une formule du genre "Les garçons sont abattus, ouverts, puis recousus sommairement",

- prétendre une chose ou son contraire, selon les besoins du moment; on pourra dire que la rubrique "Culture" est moins exigeante en matière de faits et répéter à l'envi que l'on n'a aucune preuve que les vilains Israéliens volent effectivement des organes, ou bien on assènera au contraire que l'article incriminé repose sur des faits indéniables et très concrets,

- retourner l'accusation; ce n'est pas vous qui répandez des ragots antisémites, ce sont vos ennemis qui tentent d'étouffer la vérité et/ou de tuer la liberté de la presse.

* * *

Petite annexe sur les milieux qui ont repris, en les présentant comme crédibles, les diffamations "culturelles" d'Aftonbladet.

En France, peu de surprises. Les milieux "antisionistes" sont fermement du côté des "révélations" de Boström, quelle que soit leur préférence politique (les deux extrêmes se retrouvent dans le même lit, une fois encore): Alter info, Les ogres, Europalestine, certains Indymedias, ISM (International Solidarity Movement), Agoravox, Bellaciao, etc.

AFPS (Association France Palestine Solidarité) reprend le texte d'Agoravox (Criminel de guerre jusque dans les tripes ? Israël accusé de trafic d’organes), mais l'agrémente d'un article de Gideon Levy (Haaretz) qui, certes, rejette les assertions de Boström mais profite surtout de l'occasion pour condamner... le gouvernement israélien et "les horreurs de l'occupation". En fait Gideon Levy se contente de salir ses cibles habituelles, les autorités israéliennes (le chef du gouvernement peut être Barak, Olmert, ou Netanyahou, peu importe) et répandre d'autres insinuations (l'antisémitisme est un "atout"):
"Le Ministre des Affaires Etrangères Avigdor Lieberman aurait dû envoyer un bouquet de fleurs à Donald Boström, le photographe de presse suédois qui a écrit cet article, prétendant que les Forces de Défense d’Israël [FDI] récoltaient des organes sur des Palestiniens morts. Et le Ministère des Affaires Etrangères aurait dû envoyer une lettre de remerciements aux rédacteurs en chef de ce journal, Aftonbladet. Cela faisait longtemps qu’un tel atout n’était pas tombé entre les mains des amis de l’occupation pour leur propagande. Cela faisait longtemps qu’une telle nuisance n’avait été causée à ceux qui essayent sérieusement de documenter les horreurs de l’occupation".
Ce n'est pas odieux et criminel comme les allégations de Boström, mais c'est grotesque: dans un cas on nous dit que les Israéliens pourraient voler des organes, ils le font d'ailleurs certainement, on n'a pas de preuves mais on a une excellente base factuelle... Dans l'autre cas on nous dit que les "Boströmgate" enchantent les dirigeants Israéliens, qui se félicitent secrètement de ces cadeaux inespérés. Étant donné que les ragots malsains d'Aftonbladet vont apporter de l'eau au moulin des partisans du boycott total et de l'isolement diplomatique d'Israël (en attendant son démantèlement) j'ai du mal à percevoir en quoi cela serait un "atout" pour les autorités israéliennes...

Bellaciao (extrême gauche) publie la traduction française de l'article de Boström et ajoute pour faire bonne mesure un pamphlet tiré du site du Quotidien d'Oran. Ledit pamphlet dénonce la "ficelle de la propagande sioniste" ainsi que la "violente campagne de culpabilisation orchestrée par les autorités de Tel-Aviv" suite aux "révélations" d'Aftonbladet.

Elle a le teint frais et les idées claires, la "vraie gauche" française...

* * *

N'en déplaise aux fans des "révélations" de Boström, la conclusion de la crise Suède/Israël est peut-être proche. Selon Haaretz, la Suède pourrait, dans le cadre de sa présidence temporaire de l'Union Européenne, faire enfin entendre sa voix: Following inflammatory article, Sweden to demand EU condemn anti-Semitism
In a telephone conversation with Haaretz, Frattini [ministre italien des Affaires étrangères] said he recently met with his Swedish counterpart, Carl Bildt, and the two agreed that at a meeting of European Union foreign ministers later this week, they will work to pass a resolution making it clear that the EU, under the Swedish presidency, strongly condemns anti-Semitism and will take action against any manifestation of it on the continent.

Frattini said he intends to demand that the meeting's summary statement explicitly condemn the article published in the Swedish tabloid Aftonbladet
Franco Frattini ne cache pas ce qu'il pense de l'article d'Aftonbladet. Le ministre italien qualifie ainsi les accusations contenues dans l'article de Boström: "terrible conclusions, lying and hurtful, and they have the power to assist all those who seek to incite against Jews or who oppose the existence of the State of Israel".

Yigal Palmor a fait savoir qu'une telle initiative suédoise serait bienvenue, à condition qu'elle mentionne explicitement l'article d'Aftonbladet et ne se contente pas de généralités. "We did not ask for an apology [de la part du gouvernement suédois] or for measures against the newspaper or the journalist," he added. "All we asked of Sweden and the Swedes is that they reject and decry the content of the report. And our position has not changed", a précisé le porte-parole israélien.

J'espère que le gouvernement suédois, bien que nullement responsable des saletés publiées récemment par le populaire tabloïd, saura trouver les mots justes pour critiquer ce qui doit l'être, tout en réaffirmant sereinement son respect pour la liberté de la presse - la presse qui informe, qui nourrit l'esprit et éclaire les consciences.


Update
Franco Frattini s'est apparemment trompé sur les intentions de Carl Bildt, voir billet du 3 septembre.

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