dimanche 7 juin 2009

Le sermon du Caire

La lecture du discours de Barack Obama au Caire ce 4 juin, me laisse mi-figue mi-raisin.

La première impression est que, décidément, le XXIe siècle est indubitablement religieux: depuis les citations du Coran ou parfois de la Bible jusqu'à "que la paix de Dieu soit avec vous" ou encore "la foi devrait nous unir", on se demande parfois si on n'est pas en train de lire les propos d'un révérend discutant de politique internationale lors d'une rencontre oecuménique.

Mais si on passe sur ces détails irritants le discours est efficace, tout entier conçu pour séduire des auditeurs musulmans (qu'Obama considère d'emblée comme croyants et pratiquants).

Après une longue introduction (1610 mots, soit le quart du discours) destinée à flatter, rassurer et conquérir un public musulman (1) largement hostile à la politique américaine, le président américain a abordé sept sources de tension entre "l'Amérique et l'islam":

- l'extrémisme et le terrorisme (905 mots)
- Israël, les Palestiniens, et le monde arabe (1033 mots)
- les armes nucléaires (336 mots)
- la démocratie (371 mots)
- la liberté de religion (335 mots)
- les droits des femmes (236 mots)
- l'économie, la mondialisation vs. la tradition (510 mots)

On voit très vite quels sont les sujets qui fâchent: Israël et le terrorisme islamiste, et quel sujet hérite de la portion congrue: les femmes (les gays et lesbiennes ne sont même pas mentionnés).

Parlant des femmes, Barack Obama a été très éloquent pour défendre... leur "droit" de se voiler, du moment bien sûr que c'est leur choix, et est fermement opposé à toute tentative de limiter ce "droit" : "Je rejette l'opinion de certains selon laquelle une femme qui choisit de se couvrir la tête est d'une façon ou d'une autre moins égale".

Il insiste sur le fait qu'opter pour "un rôle traditionnel (...) devrait être leur choix", et se fait l'avocat de leur libre accès à l'éducation.

Mais il va un peu plus loin que reconnaître le "droit" des femmes à se voiler :

"... la liberté en Amérique est indissociable de celle de pratiquer sa religion. C'est pour cette raison que (...) le gouvernement des États-Unis a recours aux tribunaux pour protéger le droit des femmes et des filles à porter le hijab et pour punir ceux qui leur contesteraient ce droit." (Applaudissements)

Barack Obama a tranché: le hidjab (2) est un signe religieux anodin n'impliquant aucune soumission de la femme et les Américains doivent faire semblant de croire que celles qui le portent le font uniquement à la suite d'un choix libre et éclairé. Si quelqu'un leur conteste ce droit, il devra éventuellement s'en expliquer devant les tribunaux.

"Liberté" de religion, 1 - Libre pensée et féminisme, 0.

Adopter le point de vue des intégristes sur le voile (3) n'est toutefois pas un acte gratuit. S'il consacre un discours pour expliquer que l'Amérique n'est pas l'ennemie de l'islam, Obama espère bien obtenir quelque chose en échange :

"l'Amérique n'est pas - et ne sera jamais - en guerre contre l'islam. (Applaudissements) En revanche, nous affronterons inlassablement les extrémistes violents qui font peser une menace grave sur notre sécurité"

"j'estime qu'il est de mon devoir de président des États-Unis de combattre les stéréotypes négatifs de l'islam où qu'ils se manifestent. (Applaudissements) Or ce même principe doit s'appliquer à la façon dont l'Amérique est perçue par les musulmans"

Si dans le domaine des droits humains, et notamment des droits des femmes ou des minorités, le discours d'Obama est très décevant, il se rattrape dans d'autres domaines, par exemple le point #1 (lutte contre le terrorisme). Il arrive même -grâce à une citation du Coran- à faire applaudir le passage où il annonce son intention de rester ferme face aux "éléments extrémistes" en Afghanistan.

Même s'il critique vertement la décision de G.W. Bush d'envahir l'Irak, il ne faut pas s'attendre à un retrait immédiat des troupes US: "nous allons honorer l'accord que nous avons conclu avec le gouvernement irakien, élu démocratiquement, concernant le retrait de nos troupes de combat des villes irakiennes d'ici au mois de juillet et de toutes nos troupes du territoire irakien d'ici à 2012. (Applaudissements) Nous aiderons l'Irak à former ses forces de sécurité". D'ici 2012 il peut se passer bien des choses, de plus Obama ne précise pas combien de temps les troupes américaines chargées de la formation des forces irakiennes resteront sur place.

Le troisième point, les armes nucléaires, est court mais fort intéressant. Que va faire l'administration Obama face aux ambitions nucléaires iraniennes? Le président américain reste ferme sur les principes sans froisser l'auditoire. Dans un premier temps il va dans le sens de ceux qui critiquent "l'arrogance" des pays occidentaux face à l'Iran :

"Je comprends ceux qui protestent contre le fait que certains pays possèdent des armes que d'autres ne possèdent pas. Aucun État ne devrait décider et choisir qui sont les pays à avoir des armes nucléaires."

Puis il explique en termes fort diplomatiques que les USA ne veulent pas d'une République islamique d'Iran dotée d'armes nucléaires :

"C'est pourquoi je réaffirme fermement l'engagement de l'Amérique à vouloir un monde dans lequel aucun pays ne possède d'armes nucléaires. (Applaudissements) Et chaque pays, y compris l'Iran, devrait avoir le droit d'avoir accès à l'énergie nucléaire pacifique s'il respecte ses engagements dans le cadre du Traité de non-prolifération nucléaire"

Le deuxième point, Israël, est un autre passage très ambigu.

Obama opte pour le politiquement correct, alors que son discours a officiellement pour ambition de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité. Y compris celle qui fâche.

Or, je trouve très décevant le fait de parler des "camps de réfugiés en Cisjordanie, à Gaza et dans des terres voisines" sans même mentionner les 900.000 Juifs chassés des pays arabes. Dans un autre passage Barack Obama les oublie encore, lorsqu'il mentionne "les Maronites au Liban ou les Coptes en Égypte". Ni Ben Rhodes, auteur du discours, ni Barack Obama n'ignorent que l'Égypte avait une forte communauté juive.

Venir au Caire, parler des réfugiés arabes palestiniens, et ne pas dire un mot sur les Juifs chassés d'Égypte à l'époque de Nasser? Est-ce cela, le langage de vérité qu'il promet au début de son discours? (4)

Obama se dit "féru d'histoire", mais il affirme que : "L'Amérique ne tournera pas le dos à l'aspiration légitime du peuple palestinien à la dignité, aux chances de réussir et à un État à lui". C'est fort bien, mais il aurait été plus simple que le "peuple palestinien" ne torpille pas ses chances d'avoir un État en 1947 (plan de partage de l'ONU refusé), entre 1949 et 1967 (administrations jordanienne et égyptienne sur 100% des territoires sans que le moindre État palestinien n'y voie le jour), en 1967 (triple non de la Ligue Arabe à la proposition israélienne d'échanger territoires conquis contre la paix: pas de paix avec Israël, pas de négociations avec Israël, pas de reconnaissance d'Israël), en 2000-2001 (refus de Yasser Arafat de signer un accord final).

"Depuis des dizaines d'années, une impasse persiste : deux peuples aux aspirations légitimes" déclare Barack Obama. Ce qu'il dit est vrai aujourd'hui, mais ne l'a pas toujours été et c'est justement là le plus grand drame des Palestiniens : le peuple palestinien n'existait pas lorsque Theodor Herzl jetait les bases d'un projet d'autodétermination politique en Eretz Israel, il n'existait toujours pas lorsque la Première Guerre mondiale se terminait et que la décomposition de l'Empire ottoman allait permettre l'émergence de dynasties, de pays... et d'un certain Mandat. Le peuple palestinien existe grâce au sionisme et à la création d'Israël. Voilà une vérité qu'Obama n'aurait pas pu exprimer au Caire. Bien trop politiquement incorrect.

Néanmoins, malgré l'évident désir de ne pas froisser l'auditoire (l'exercice tout entier a pour but, justement, de le "défroisser"), Obama fait passer plusieurs messages importants dans ce 2e point:

- il ne souhaite pas remettre en cause les liens tissés avec Israël : "Les liens solides qui unissent l'Amérique à Israël sont bien connus. Cette relation est immuable"

- l'éradication d'Israël est un programme inacceptable, qu'il associe dans une phrase avec l'antisémitisme (sans le nommer) : "Il est profondément injuste de menacer Israël de destruction, ou répéter de vils stéréotypes sur les Juifs et cela ne sert qu'à évoquer dans l'esprit des Israéliens cette page la plus douloureuse de leur passé"

- Israël est de toute manière là pour rester : "en privé, de nombreux Musulmans reconnaissent qu'Israël ne disparaitra pas"

- le terrorisme n'est rien d'autre que du terrorisme : "Lancer des roquettes contre des enfants israéliens endormis ou tuer des vieilles femmes dans un autobus, n'est pas un signe de courage ni de force. Ce n'est pas de cette manière que l'on revendique l'autorité morale ; c'est ainsi qu'on l'abdique"

- les pays arabes doivent cesser de jeter de l'huile sur le feu pour satisfaire leurs propres intérêts : "Le conflit israélo-arabe ne devrait plus être utilisé pour distraire les populations des États arabes des autres problèmes"

* * *

La lecture de ce discours me laisse perplexe. Malaise devant l'abondance de références religieuses, malaise devant les propos tenus sur les femmes, malaise devant les silences volontaires (réfugiés juifs, histoire du conflit israélo-arabe). Optimisme prudent lorsque je lis d'autres passages.

Gardons en tête qu'en venant au Caire Barack Obama menait une "opération séduction". Or la sincérité absolue, la franchise totale, "se dire ses quatre vérités" sont des tactiques rarement payantes lors d'un premier rendez-vous galant...

Barack Obama doit d'abord établir un climat de confiance, susciter une volonté de dialogue, et ce discours, bien qu'insatisfaisant sur plusieurs points, pourra peut-être avoir ce résultat.

Que la paix de la connaissance soit avec vous.


Update
Les réactions négatives au discours du Caire ne manquent pas. Passons sur celles qui se contentent de reprendre les ragots contre Obama qui circulaient déjà pendant la campagne électorale américaine... D'autres sont parfaitement légitimes et méritent d'être entendues, comme celle-ci, signée André Aciman, qui revient sur cet exode dont Obama n'a pas parlé: l'expulsion des Juifs des pays arabes (notamment de l'Égypte)

The Exodus Obama Forgot to Mention

André Aciman enseigne la littérature comparée à New York. Il est l'auteur de "Out of Egypt" (traduit en français et publié par Stock sous le titre Adieu Alexandrie).

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(1) les chrétiens vivant -encore- dans les pays musulmans sont mentionnés au détour d'un paragraphe; les athées et agnostiques sont ignorés, de même que les juifs qui y vivaient et en ont été chassés.

(2) il ne précise pas si cela s'étend aux niqabs ou tchadors.

(3) le port du voile -hidjab ou niqab- du tchador ou de la burqa n'est pas la norme pour les femmes musulmanes; ce sont les interprétations intégristes de la charia qui en "recommandent" le port, et les femmes qui refusent d'exercer ce "droit" risquent leur liberté -ou leur vie- dans nombre de pays.

(4) "Comme le dit le Saint Coran, « Crains Dieu et dis toujours la vérité ». (Applaudissements) C'est ce que je vais essayer de faire aujourd'hui - de dire la vérité de mon mieux"

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