lundi 1 juin 2009

De quoi l'antisionisme est-il le nom?

C'était déjà évident depuis plusieurs années pour tout observateur un peu honnête et suffisamment informé. L'actualité récente rend la réalité encore plus difficile à nier (mais elle continuera à l'être, je ne me fais aucune illusion) : l'antisionisme -défini comme l'opposition à l'existence de l'État juif- n'est rien de plus à notre époque (1) qu'une forme d'hostilité envers les Juifs, une négation de leurs droits (à commencer par leur droit de se définir comme un peuple).

Un cran au-dessous de ce radicalisme, de cette négation des droits d'Israël à exister, on trouve ce qu'on pourrait appeler la pseudocritique: une critique systématique de l'État d'Israël et ses habitants, mais surtout une critique qui ne vise que l'État juif tout en sous-estimant constamment (voire en omettant ou niant) les actions et responsabilités de ses ennemis. Selon ce type de "critique", l'État d'Israël est seul responsable de la paix comme de la guerre, et c'est aux Israéliens, et à eux seuls, de poser les gestes décisifs qui permettront l'avènement de la paix.

Cette pseudocritique agit comme un facilitateur; elle contribue à surévaluer l'importance d'Israël jusqu'à en faire une caricature d'État raciste, conquérant et arrogant, bref, elle contribue à faciliter et à légitimer l'obsession (pour ne pas dire la haine) anti-israélienne.

Il existe un grand nombre d'exemples de ce genre de pseudocritique, que l'on retrouve même dans les médias les plus sérieux et les institutions les plus prestigieuses. À simple titre d'exemple: le journal Haaretz propose des éditoriaux qui donnent souvent cette impression que les Israéliens décident -seuls- du destin de toute la région, comme dans cet éditorial récent; on remarquera que, selon cet article (traduit par LPM France), la paix n'attend que la décision du gouvernement israélien:

A l’ancien-nouveau chef du gouvernement Benjamin Netanyahou, s’offre l’occasion de surprendre le monde entier, de se débarrasser de formules passées désormais vides de sens, de faire preuve d’audace et de répondre à cette initiative avec enthousiasme et sans faire la grimace (...) A Washington, siège aujourd’hui un président qui veut marquer le monde de son empreinte en imposant le changement. Il faut espérer qu’à Jérusalem également siège un tel dirigeant (...) C’est l’opportunité pour Netanyahou d’entrer dans l’Histoire (...) quand Netanyahou se rendra à Washington, il devrait prêter main-forte, se joindre au remarquable effort d’Obama et dire clairement à son hôte : “Oui, Israël le veut, Israël est prêt à la paix maintenant.”

L'article mentionne évidemment d'autres pays, comme l'Arabie Saoudite, mais ils ne sont qu'une simple toile de fond et semblent patiemment attendre que les Israéliens se décident enfin à la paix... Une telle vision des choses est proprement hallucinante et ne peut que renforcer la conviction, chez le lecteur peu curieux, que la guerre n'est rien d'autre que la conséquence de l'entêtement des Israéliens ainsi que de leur soif de territoires (le fameux "Grand Israël").

Haaretz étant un journal de pros, il laisse de la place à des opinions divergentes, comme "The racist Israeli fascist in me" de Bradley Burston (qui a une chronique régulière) ou encore des protestations argumentées, comme "An open letter to Gideon Levy" par Abraham B. Yehoshua.

L'aveuglement est très souvent de rigueur lorsqu'on aborde l'Histoire. Un exemple qui m'a toujours choqué est celui des réfugiés. Seuls les Arabes palestiniens sont encore aujourd'hui considérés comme des réfugiés, avec bien sûr un "droit au retour" au sein de l'État d'Israël. Nous avons tout bonnement effacé de notre mémoire collective la tragédie des 900.000 réfugiés juifs, qui ont glissé silencieusement dans le puits sans fonds de notre bonne conscience. Un "oubli" parmi tant d'autres.

Nous avons également prêté fort peu d'attention à une certaine catégorie de réfugiés palestiniens: plus de 300.000 personnes chassées du Koweit; c'était la vengeance des Koweitiens, qui n'avaient pas apprécié le soutien de Yasser Arafat à Saddam Hussein. Pourquoi sommes-nous si peu "réactifs" dans un tel cas?

* * *

J'ai beau retourner la question dans tous les sens, il m'est impossible d'expliquer autrement que par la présence de préjugés judéophobes la différence flagrante et choquante avec laquelle nous abordons des tragédies comme celle qui vient de se conclure au Sri Lanka, et l'obsession anti-israélienne qui se répand sur nos campus, dans nos syndicats, nos médias, nos partis politiques (y compris -voire surtout- à gauche), ou dans les instances internationales.

Comment comprendre autrement l'attention que nous portons aux "réfugiés palestiniens" lorsque nous accusons Israël d'être responsable de leur sort, et notre indifférence lorsque ce sont des Koweitiens qui les chassent?

C'est au nom de ce qui s'est passé dans la bande de Gaza cet hiver (3 semaines de raids israéliens contre les installations et les troupes du Hamas) que l'on a relancé la campagne dite de BDS (boycott, désengagement, sanctions) qui a pour but de boycotter et isoler les Israéliens dans tous les domaines: économique, culturel, éducatif, sportif.

6.500 morts plus tard au Sri Lanka, c'est toujours et encore les Israéliens qui sont pointés du doigt et voués aux gémonies. Eux seuls. Le contraste est là. Obscène. Flagrant.

Cette sélectivité extrême n'est pas le seul fait des groupes anti-"sionistes". Il n'est certes guère étonnant de voir des extrémistes comme les militants d'Europalestine vomir quotidiennement leur haine d'Israël au nom de la défense des Arabes palestiniens, alors qu'ils restent muets sur le dernier chapitre, autrement meurtrier pourtant, d'une guerre qui déchire le Sri Lanka depuis des décennies.

Plus étonnante a priori est l'attitude des médias: les envoyés spéciaux qui avaient pris le chemin des confortables hôtels israéliens en décembre et janvier, où sont-ils aujourd'hui? Pourquoi La Presse n'a-t-elle pas envoyé Patrick Lagacé à Colombo? (2) Il n'aurait pas pu faire pire que lors de son séjour à Jérusalem cet hiver, c'est-à-dire regarder YouTube ou potasser ses classiques.

Certes, on peut trouver bien pire dans les médias professionnels, comme cette vision pour le moins engagée, signée Jooneed Khan:

L'unique État nucléaire du Moyen-Orient a beau déployer sa toute-puissance militaire contre les Palestiniens, il ne peut forcer à la soumission ce peuple de réfugiés, d'assiégés, de dépossédés et de kamikazes armés de kalachnikov, de bombes et de roquettes artisanales, de pierres et de frondes.
L'arme suprême des Palestiniens, c'est la résistance nationale, le courage du désespoir. Plus Israël les frappe, plus se durcit chez eux la volonté de lutter et le sens du martyre.
(La Presse)

Dans le cas des médias une explication très prosaïque s'impose: le gain. Les directeurs de journaux (papiers, radios ou télévisés) pensent visiblement qu'un hôpital bombardé par l'armée sri lankaise ne fait pas vendre autant qu'un raid de Tsahal (3). Mais les commentaires de M. Khan vont au-delà du souci d'informer ou d'assurer la vente d'un journal.

En un sens, les choix éditoriaux de nos médias sont surtout un indice de nos propres sentiments: Tamouls et Darfouris ne nous intéresseront jamais autant que les victimes de l'armée israélienne, l'armée de l'État juif.

Que les choses soient bien claires: je ne suis pas en train d'affirmer que nos médias sont dirigés par des antisémites, ni même que les signataires des innombrables appels au boycott d'Israël le sont.

Je ne l'affirme pas, pour des raisons simples : 1) je ne les connais pas assez et 2) ils n'ont pas besoin de l'être.

Il suffit qu'un certain discours antijuif ne soit plus détecté pour ce qu'il est. Il suffit que nous ne soyons plus capables de reconnaître cette forme de xénophobie -ou que nous ne voulions plus la voir- dès lors qu'elle ne se présente pas sous les oripeaux du national-socialisme. Oublieux de l'Histoire nous en sommes arrivés à identifier antisémitisme et nazisme. Grave confusion.

Le problème n'est donc pas tant la présence d'antisémites que la diffusion d'idées antisémites, diffusion qui s'opère grâce à notre incapacité à reconnaître un discours antijuif lorsque nous le rencontrons.

Pire: nous en arrivons, surtout à gauche, à prendre l'hostilité spécifique envers Israël pour de l'humanisme et de l'antiracisme. À ce stade il ne s'agit même plus d'être aveugle à une chose, mais de la confondre avec son contraire.

Il m'arrive de lire des analyses (parfois très intéressantes) sur la contradiction -ou l'absence de contradiction- entre "État juif" et "démocratique". Les anti-"sionistes" et les tenants de la pseudocritique d'Israël présentent l'expression "État juif démocratique" comme une contradiction: si Israël est un État juif, ce n'est pas l'État de tous ces citoyens, donc ce n'est pas un pays démocratique.

C'est un débat passionnant, et si j'avais plus de compétences en ces matières j'y prendrais part (4), mais mon point de vue est beaucoup plus simple et direct :

Pourquoi nous inquiétons-nous à ce point du degré de démocratie d'Israël?

Pourquoi concluons-nous que, si ce pays ne répond pas à nos critères les plus stricts en matière de démocratie, il devrait être aboli?

Là encore le contraste est frappant entre notre intransigeance vis-à-vis de l'État d'Israël et notre attitude nettement plus "décontractée" envers la totalité des autres pays du monde. Personne ne veut abolir la Chine communiste, l'Iran chiite, la Lybie, la Syrie, et tant d'autres pays, sous le prétexte qu'ils ne sont pas suffisamment démocratiques à notre goût. Mais Israël, si: c'est une idée qui court, et pas uniquement à Téhéran.

Le même raisonnement peut être fait pour toutes les autres accusations -de la plus sérieuse à la plus grotesque- portées contre les Israéliens: "Israël est une théocratie" en est une particulièrement inepte. Non seulement Israël n'est pas une théocratie, mais depuis quand a-t-on décidé qu'il fallait abolir de tels régimes? Remarquons que ces drôles d'"anti-théocrates" ne remettent nullement en cause la légitimité des régimes iraniens ou saoudiens (pour ne citer qu'eux).

Le procès permanent qui est fait à Israël, depuis le projet de résolution déposée par la Lybie auprès du Conseil de sécurité de l'ONU en plein conflit au Sri Lanka jusqu'aux razzias dans les rayons des épiceries afin d'en bannir les présumés produits israéliens, est le symptôme d'un mal profond et ancien. Un mal dont nous avons oublié les multiples visages, un mal que nous ne savons plus diagnostiquer. Cette obsession anti-israélienne, cette hostilité envers les habitants de ce pays minuscule (5), ce n'est pas de l'antiracisme ni de l'humanisme. Si tel était le cas Israël ne serait qu'un chapitre parmi d'autres, et pas le plus épais, dans le grand manuel des choses à améliorer.


[quelques modifications pourront encore être apportées à ce billet]



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(1) il est bien évident que ça n'a pas toujours été le cas: l'opposition bundiste au sionisme au début du XXe siècle est un exemple d'antisionisme "honorable". Elle résultait d'une réflexion sur la place des Juifs dans les pays où ils vivaient à l'époque, et la conviction que l'avenir était à bâtir sur place en Pologne, en Russie, en Allemagne, en France. Les bundistes étaient convaincus que l'hostilité antijuive ne survivrait pas à l'union des travailleurs et au "grand soir". Mais plus de 60 ans ont passé depuis la fin de la guerre et la création d'Israël, et l'antisionisme du Bund n'est aujourd'hui qu'un alibi commode.

(2) je cite ce journal et ce reporter précisément parce que j'apprécie, habituellement, leur travail et leur professionnalisme. Et puis oui, je sais parfaitement que les envoyés spéciaux sont allés là où on les autorisait à aller, c'est-à-dire partout sauf à Gaza, et je sais aussi que Patrick Lagacé fait l'effort -contrairement à d'autres- de ne pas donner qu'un seul son de cloche.

(3) il ne s'agit pas d'un "diminutif affectueux" (affirmation sotte que j'ai eu l'occasion d'entendre plusieurs fois) mais d'un banal acronyme. Le nom complet est Tsva Haganah Le-Israel (armée de défense d'Israël), qui s'abrège en Ts.H.L, prononcé Tsahal. L'hébreu est friand de ces acronymes, comme Rambam (Rav Moshe Ben Maimon, mieux connu sous le nom de Maïmonide) ou encore Natbag, acronyme de Namal Teoufa Ben Gourion... l'aéroport Ben-Gourion.

(4) sur ce sujet, voir par exemple "Israël et les nations", par Amnon Rubinstein & Alexander Yakobson, PUF 2006.

(5) à la veille de la Guerre des Six Jours Israël s'étendait sur une surface d'environ 21.000 km2, soit plus petit que Belize ou l'Albanie, deux fois plus petit que les Pays-Bas, quatre fois plus petit que la Jordanie (érigée sur la partie orientale de la Palestine mandataire envisagée par la conférence de San Remo en 1920), quarante-sept fois plus petit que l'Égypte (cf.
Wikipedia)

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