lundi 20 juillet 2009

La négation du peuple juif a un bel avenir en France

La revue L'Histoire consacre ce mois-ci un dossier complet à une propagande qui n'est pas nouvelle (1) mais a récemment été remise au goût du jour par un "nouvel historien" israélien antisioniste, S. Sand, qui n'est pourtant pas un spécialiste des champs d'études concernés (son domaine concerne surtout l'histoire intellectuelle française; il est un des spécialistes de l'oeuvre de Georges Sorel).

Publié en hébreu, son bouquin, "Matai ve'ech humtza ha'am hayehudi?" (Quand et comment fut inventé le peuple juif?), a immédiatement été traduit et publié en français par les éditions Fayard : "Comment le peuple juif fut inventé". Le pognon n'a pas d'odeur, c'est bien connu.

Herr Professor Sand s'est exprimé dans Haaretz après la parution de son "essai" en Israël. L'article était intitulé : Ani kouzari gué'é (2) -Je suis un fier Khazar- (Haaretz), ce qui est une absurdité dans la mesure où les Khazars n'existent plus depuis des siècles. L'article est disponible en anglais (mais avec un autre titre) sur le site du journal.

Je n'ai pas été surpris de voir les médias "antisionistes" français, comme Le Monde diplomatique, sortir le tapis rouge et s'empresser de diffuser la bonne parole : "Déconstruction d’une histoire mythique - Comment fut inventé le peuple juif" (août 2008).

Ne comptez pas trop sur Le Monde diplo pour se pencher sur l'importance du mythe dans la construction de l'identité collective d'autres peuples, et encore moins sur l'histoire du peuple palestinien dont "l'invention" est pourtant très récente (le courant du XXe siècle). Cette sélectivité dans la "déconstruction du mythe" démontre s'il en était besoin qu'il ne s'agit pas ici de recherche scientifique ou de vulgarisation, mais d'activisme "antisioniste". La délégitimation de la présence juive en Israël (pardon... en Palestine) fait feu de tout bois ; la négation de l'existence du peuple juif en fait partie.

Le Monde diplo donne un autre petit coup de main en annonçant les réunions des "Amis du Monde diplomatique", et devinez qui a été chaudement invité dans plusieurs de ces réunions? La liste des réunions est impressionnante. Une telle passion pour l'histoire du non-peuple juif est touchante, vraiment.

Plus problématique est l'attitude de L'Histoire, qui se présente comme LE magazine de référence des passionnés d'histoire. D'histoire à dormir debout, dans ce cas précis.

Le dossier, sobrement intitulé "Enquête sur le peuple juif", consiste en fait à donner la parole au Professor Sand et à éviter de trop remettre en question sa méthodologie, ses compétences, ses conclusions. Tout au plus le magazine "de référence" se contente de demander à Michel Winock (spécialiste de l'histoire de la République française), Maurice Sartre (son domaine est la Syrie antique et l'Orient hellénisé, c'est déjà un peu mieux) et Esther Benbassa de lui donner la réplique.

Esther Benbassa était peut-être la mieux placée (dans ce petit groupe) pour parler du thème choisi par L'Histoire. Son intervention est courte et son hostilité au sionisme n'est pas un secret, mais cela ne l'empêche pas de rappeler quelques évidences. Extraits :

Les Juifs ont cultivé une représentation d'eux-mêmes construite autour de leur religion mais aussi de mythes. Cet imaginaire a permis, même aux convertis, de se définir comme appartenant à une même entité culturelle et religieuse, les deux dimensions étant inséparables (...)

Tous les peuples sont des "inventions". On ne peut pas se contenter de dire que le "peuple" juif (3), tel qu'il se définissait avant la naissance du sionisme et l'acception moderne de ce concept, et aussi imaginé qu'il ait été, n'a jamais existé (...)

la question se pose de la même façon pour les Palestiniens. Ceux-ci sont-ils un peuple davantage que les Juifs?

Ce qui tranche nettement avec l'infatigable "professeur" (au fait, est-il permis de remettre en question l'existence de son diplôme?), qui multiplie entrevues et rencontres pour répandre sa propagande : "Il n’existe pas et n’a jamais existé de peuple juif" clame-t-il dans les colonnes de la très complaisante revue Books (qui comme son nom ne l'indique pas est une revue française).

Il est alarmant de constater que c'est le récit de Sand qui fait la trame du dossier de L'Histoire. Il faut s'attendre à ce que la négation du peuple juif prenne de l'ampleur dans les années à venir, tout au moins en France.

* * *

Toutes les réactions qui ont suivi la publication du pamphlet du fier Khazar n'étaient pas dithyrambiques. En voici quelques-unes :

Luc Rosenzweig, sur Causeur, résume dans un texte très court mais efficace ce que lui inspire la thèse de Sand et l'accueil enthousiaste qu'elle reçoit : " (...) Et c’est ainsi que Shlomo Sand, dont l’influence en Israël est proche de zéro, devint prophète à Saint-Germain-des-Prés".

Israel Bartal, doyen à l'Université Hébraïque de Jérusalem, a réagi dans Haaretz : "Inventing an invention". Il adresse plusieurs points, par exemple l'affirmation de Sand selon laquelle la vérité (qu'il révèle dans ses écrits...) est camouflée par les établissements scolaires en Israël. Une traduction en français est disponible sur le site de l'UPJF.

Steven Plaut, professeur à l'Université de Haifa : "The Khazar Myth and the New Anti-Semitism".

Anita Shapira, professeur d'histoire juive à l'Université de Tel-Aviv, a publié dans le numéro de mars 2009 du "Journal of Israeli History" un texte disponible au format pdf, qui apporte une très intéressante contradiction aux "thèses" de S. Sand : "The Jewish-people deniers".

Pour info, le dossier de la revue L'Histoire a suscité une assez longue réaction signée Alain Michel : "Hébreux, juifs et sionistes : omissions de L'Histoire" (repris sur le site de l'UPJF).

Harry's Place a consacré au moins un texte au sujet : "The Sandman". " (...) Israel needs to exist as a Jewish state because books like Sand’s are so popular".


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(1) Yasser Arafat avait déjà, en son temps, mentionné les "origines khazares" des envahisseurs sionistes...

(2) אני כוזרי גאה

(3) E. Benbassa ne résiste tout de même pas à la tentation de placer des guillemets.

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