samedi 11 juillet 2009

La peur et la haine

La cause palestinienne compte dans ses rangs plusieurs militants qui s'identifient comme juifs ou d'origine juive.

Certains, au fil des ans, préfèrent s'éloigner de leurs anciens camarades. La rupture est parfois radicale, comme dans les cas de Luc Rosenzweig ou Nathan Weinstock.

Lucy Michaels a, en 2004, rédigé un article sur son expérience au sein du mouvement propalestinien.

Elle ne s'y est pas toujours sentie très à l'aise et elle en témoigne dans ce texte intitulé "Fear and Loathing" (La peur et la haine). Voici le début du texte, en français:

C'est seulement ces derniers mois que j'ai trouvé le courage de parler à certains de mes amis (juifs et non-juifs) au sein du mouvement de solidarité avec la Palestine, et plus largement au sein du mouvement antimondialisation et antiguerre, au sujet des difficultés que j'ai éprouvées en tant que juive au sein de ce mouvement. Il m'a aussi fallu du temps pour nommer ces difficultés : racisme antijuif, ou judéophobie.

La première fois que j'ai rejoint la lutte pour les droits des Palestiniens, c'était à l'occasion d'un rassemblement sur Trafalgar Square en 2002. En un tel lieu je pouvais rester anonyme tout en soutenant la cause en laquelle je croyais. Cependant, c'est avec horreur que j'ai observé les diverses réactions lorsqu'une pacifiste juive israélienne a pris la parole.
'L'occupation c'est la terreur!' a-t-elle dit. 'Elle apporte le désespoir dans les coeurs des jeunes palestiniens, filles et garçons. Mais les attentats suicide n'aident pas la lutte palestinienne. Ceux qui envoient ces enfants - Hamas, Jihad islamique, Tanzim – font le jeu de Sharon.'

En entendant cela, un groupe de jeunes fondamentalistes musulmans, certains d'entre eux avec les rouleaux de papier hygiénique vides attachés autour de la taille pour imiter des bâtons de dynamite, s'avancèrent vers l'estrade en jetant des bouteilles et en scandant '
Scud, Scud, Israël ! Gaz, gaz, Tel-Aviv !' et en arabe 'mort aux juifs!'. J'ai été encore plus horrifiée en voyant cette femme continuer malgré tout son discours, sans le moindre soutien. Aucune des personnes assises sur l'estrade n'a levé le petit doigt pour s'opposer à un racisme aussi flagrant. Quand elle a quitté la tribune, le président de l'assemblée lui a repris le micro avec ce commentaire: 'Eh bien, nous ne sommes pas tous d'accord avec la dernière intervenante...'

Ce qu'exprimait massivement la gauche britannique ce jour-là, ce n'était pas tant de la solidarité avec les Palestiniens qu'une virulente hostilité envers Israël et par extension envers quiconque n'aurait pas exprimé sa honte d'être juif ou son rejet radical de l'État juif.

La notion de racisme antijuif a été si étroitement associée à la Shoah (Holocauste) que ses manifestations plus subtiles et quotidiennes nous échappent bien souvent. Bien sûr on n'envoie plus les Juifs dans des chambres à gaz, et en Grande-Bretagne les attaques racistes contre des personnes ou des bâtiments sont heureusement rares. Cependant il y a des exemples, en particulier à propos d'Israël et de la Palestine, où attitudes et expressions judéophobes ressortent souvent (...)

C'est une grande différence entre ceux que l'on pourrait rapidement définir comme des "amis d'Israël" et les propalestiniens : les premiers sont motivés par leurs affinités, par un lien affectif avec le pays, ses habitants (certains d'entre eux du moins), avec la langue, la littérature, ou tout simplement par la reconnaissance du droit des Juifs à l'autodétermination.

À l'inverse, ce qui frappe chez nombre de "propalestiniens" c'est que leur engagement se fonde volontiers non pas sur l'amour pour les Arabes palestiniens et leur culture, mais sur la haine envers les Israéliens (ainsi que les "sionistes" en France ou au Canada). Il suffit pour s'en rendre compte de lire la prose et d'observer les actions des multiples groupes "propalestiniens".

Pour revenir à Nathan Weinstock, la revue "L'Arche" avait publié son témoignage à l'été 2006, on peut encore le trouver en ligne sur le site de l'UPJF. Extrait :

Un petit fait vécu, dont je me suis avéré incapable de saisir la portée, à l’époque, l’illustre amplement. Mes écrits antisionistes m’avaient valu d’être invité à la tribune de la GUPS (General Union of Palestinian Students) en 1967, à Paris, quelques jours avant la Guerre des Six Jours. J’avais décidé de saisir l’occasion de cette prise de parole pour adresser solennellement à l’assemblée un message officiel émanant du Matzpen, groupuscule antisioniste israélien d’extrême gauche. Il s’agissait d’une première (Éric Rouleau, du Monde, fit même un papier au sujet de ma venue). J’espérais opérer une brèche dans le mur d’incompréhension réciproque… Et, dans mon insondable naïveté, j’imaginais que je serais assailli d’interrogations au sujet des militants israéliens dont j’apportais le salut, qu’on se réjouirait d’entendre que les revendications des Palestiniens avaient recueilli un écho de l’autre côté de la frontière…

Pensez-vous ! Personne - j’insiste: aucun des organisateurs ou des auditeurs ne s’est intéressé au message ou au Matzpen. Ils s’en fichaient royalement, car ils avaient bien mieux à faire. En proie à un état de surexcitation incroyable, l’oreille vissée à leur transistor, ils frémissaient tous à l’écoute de Radio-Le Caire, savourant avec délices l’annonce selon laquelle les vaillantes armées arabes étaient sur le point de jeter l’agresseur sioniste à la mer.

Bref, loin de représenter un interlocuteur, je me trouvais relégué à la seule place réservée aux adversaires juifs d’Israël: celle de l’«idiot utile».

Et «utile», je l’étais en effet. Les invitations pleuvaient sur mon bureau. Tout le monde voulait m’entendre dénoncer Israël l’innommable. À chaque fois, le scénario parisien se répétait. Soutien inconditionnel des auditeurs aux pires aberrations des fedayin (surtout les pires: les outrances extrêmes ne sont-elles pas la preuve d’une foi révolutionnaire inébranlable ?). Haine sans limites pour les Israéliens, quels qu’ils soient.

Peu à peu, il me devint impossible d’ignorer un antisémitisme insidieux et omniprésent, suintant à travers toutes ces déclarations enflammées de soutien et ces dénonciations aveugles. On vomissait d’abord les «sionistes», pour démasquer ensuite l’«emprise des sionistes» sur les médias et aboutir bientôt à mettre en cause la «domination mondiale sioniste». Quand on me citait, c’était toujours en prenant soin de gommer préalablement les (trop rares) passages critiques envers les Palestiniens ou les directions arabes. Car ce n’étaient évidemment pas mes écrits qui les intéressaient, mais uniquement la possibilité de se servir de mon nom pour cautionner leur haine du Juif.


[Extrait de L’Arche n° 579-580, juillet-août 2006. Numéro spécimen sur demande à info@arche-mag.com. Reproduction autorisée sur internet avec les mentions ci-dessus]

Depuis l'époque évoquée par Nathan Weinstock la situation ne s'est pas vraiment améliorée.

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