dimanche 1 février 2009

Nous ne sommes pas antisémites, mais...

Les temps changent, pas toujours pour le mieux.

En punition de la guerre d'indépendance israélienne de 1947-1949, des centaines de milliers de Juifs ont quitté les pays arabes dans les années cinquante, poussés par le vandalisme, les émeutes, les menaces, les assassinats, les faux procès et les vraies exécutions.

Aujourd'hui, plus nettement encore qu'à l'été 2006 (seconde guerre du Liban), l'attaque israélienne contre le Hamas dans la bande de Gaza sert d'alibi à un retour du discours antisémite, y compris en Europe, au Canada, etc.

S'il est une chose que l'Histoire nous a pourtant enseignée, c'est que la judéophobie n'est jamais anodine lorsqu'elle touche les sphères du pouvoir. Il est bien évidemment illusoire d'espérer une disparition du sentiment antijuif, aussi bien en Europe qu'au Canada, mais il est impératif d'établir un cordon sanitaire afin que nos institutions publiques, nos syndicats, nos médias, nos gouvernements, restent hors de portée des judéophobes (et autres racistes et/ou homophobes...) qui voudraient mettre leurs fonctions au service de leurs dégoûts personnels.

Au Canada, ces dernières semaines, quelques syndicats se sont fait remarquer, que ce soit à cause d'une discrimination visant spécifiquement les Israéliens (voir le cas du CUPE-Ontario) ou bien par leur indifférence lorsque des antisémites se sont joints aux manifestations "propalestiniennes". La CSN est allée jusqu'à réagir... contre ceux qui avaient dénoncé les slogans antijuifs ou les drapeaux du Hezbollah (voir ici).

Dans d'autres pays la situation est beaucoup plus inquiétante.

Au Vénézuéla par exemple. Le président Hugo Chavez s'était déjà rapproché d'humanistes aussi remarquables que le président iranien, qui voit d'un bon oeil le négationnisme et l'éradication d'Israël. Il était encore possible de se bercer d'illusions en se disant que, parfois, des impératifs politiques impliquent la fréquentation de personnages peu recommandables.

Hugo Chavez en compagnie du président iranien - Source Harry's Place
(Source photo: Harry's Place)


À l'occasion des raids israéliens à Gaza toutefois, Chavez a commencé par qualifier L'État israélien de "génocidaire" et d'"assassin" (La Presse, 5 janvier).

Il a ensuite expulsé le personnel de l'ambassade israélienne (l'ambassadeur en tête), mais a aussi lancé un appel aux Juifs, vénézuéliens notamment, afin que ceux-ci prennent position contre Israël. La Bolivie, qui suit un parcours similaire à celui du Vénézuéla, a également rompu ses relations diplomatiques avec Israël, pour le même faux motif (Haaretz).

On apprend aujourd'hui que la plus vieille synagogue de Caracas vient d'être vandalisée par un groupe d'hommes armés (Haaretz rapporte la réaction de l'ADL, voir aussi Ynetnews). Doit-on s'en étonner?

Haaretz rapporte la réaction du ministre vénézuélien des affaires étrangères: "Venezuelan Foreign Minister Nicolas Maduro condemned the attack and promised it would be investigated, while reiterating his government's opposition to what he called Israel's criminal government. We respect the Jewish people, but we ask respect for the people of Palestine and their right to life" (N. Maduro a condamné cette attaque et a promis qu'il y aurait une enquête, tout en rappelant l'opposition de son gouvernement à ce qu'il appelle le gouvernement criminel israélien. "Nous respectons le peuple juif, mais nous demandons le respect et le droit à la vie pour le peuple de Palestine", a ajouté le ministre).

Nous respectons le peuple juif, mais...

La CSN "ne soutenait pas" les slogans antisémites de la manif du 10 janvier à Montréal, mais a vertement critiqué ceux qui avaient osé en parler.

Le premier ministre turc, Tayyip Erdogan, a déclaré que l'antisémitisme était un crime contre l'humanité, mais "un immense drapeau palestinien flotte toujours dans la rue de la synagogue Neve Shalom, une des cibles des attentats d'al-Qaida qui avaient fait 63 morts en 2003" (Le Figaro).

Le Figaro rapporte également un aspect révélateur du discours du leader turc:

... parmi les diatribes anti-israéliennes quasi quotidiennes de M. Erdogan pendant le conflit, une remarque sur l'accueil des Juifs qui ont fui l'Inquisition au XVe siècle ne passe pas. «Nous sommes les descendants des Ottomans qui vous ont sauvés des Espagnols il y a cinq cents ans», a-t-il lancé.
«Est-ce que je suis toujours considérée comme une invitée sur ces terres où je suis née et où j'ai grandi, où je remplis mes devoirs en tant que citoyenne, a réagi Leyla Navaro, psychologue, dans une tribune publiée dans le quotidien Radikal. Ajoutant : «On me tient responsable de la guerre au Moyen-Orient parce qu'il est écrit “judaïsme” dans la case religion de ma carte d'identité.»

En Afrique du Sud, pays qu'on aurait pu croire dégoûté du racisme, une ministre a déclaré lors d'un rallye "propalestinien" le 14 janvier: "The control of America, just like the control of most Western countries, is in the hands of Jewish money and if Jewish money controls their country then you cannot expect anything else" (L'Amérique, tout comme la plupart des pays occidentaux, est contrôlée par l'argent juif, et si l'argent juif contrôle leurs pays vous ne pouvez vous attendre à rien d'autre) (Haaretz, Z-Word) [la suite ici]

Ce ne sont ici que quelques exemples, de portée et de gravité très inégales, des "dérives" observées ces dernières semaines.

Il faut bien réaliser ceci: lorsqu'un dirigeant (député, chef de parti, de gouvernement, de syndicat, etc.) exige "des Juifs" qu'ils se comportent de telle ou telle manière, qu'ils tiennent tel ou tel discours ou qu'ils ferment leur gu... sur tel ou tel sujet, il contribue à rendre respectable et socialement acceptable la discrimination antijuive.

On ne peut pas empêcher une personne de détester les Juifs, mais on peut interdire à un judéophobe d'utiliser ses fonctions pour répandre son "message". Sur le plan international, il serait bon d'établir un cordon sanitaire autour des leaders étrangers qui soufflent sur les braises de la vieille haine antijuive pour "occuper" leurs populations. Pendant que la populace bouffe du juif, voyez-vous, elle ne fait pas autre chose...

Les citoyens français ou canadiens ne sont pas responsables des choix politiques d'un pays d'Amérique du Sud ou des déclarations d'une politicienne sud-africaine, par contre ils peuvent agir localement.

Update
1) tiens au fait, en parlant d'agir localement, je n'ai toujours reçu aucune réponse de la CSN... ils doivent être tellement occupés à défendre mes droits de travailleur qu'ils n'ont plus le temps de lire leur courrier...
2) depuis des années c'est au nom de la "critique d'Israël" et du "soutien aux Palestiniens" que se répand l'antisémitisme; on s'en rend bien compte dans l'exemple de la politicienne sud-africaine. Voici un autre cas dans un commerce de vélos en Islande, qui affiche en vitrine "Les Juifs ne sont pas bienvenus" (pas la peine de parler islandais couramment pour comprendre le sens de Judar - ekki velkomnir), sous le motif de "protest against the Israeli operation in Gaza": voir le blog Philosemitism.

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