On peut être d'accord ou pas avec le raisonnement ou certaines conclusions d'Alexandre Adler, là n'est pas la question. Le chroniqueur termine son texte par ces deux phrases: "Après l'antisémitisme violent comme un vomissement des Proudhon, des Drumont et des Bernanos, voici venu l'antisémitisme insinuant et presque invisible des Badiou. Pour mesurer son pouvoir de radiation, lisez donc une certaine presse hebdomadaire".
Le pdg de l'hebdomadaire Marianne, Maurice Szafran, s'est senti visé. Il a répondu à Alexandre Adler dans un éditorial publié dans le numéro du 8-14 août de l'hebdo, sous le titre "À propos d'Alexandre Adler, du Crif et de l'antisémitisme".
Adler et Szafran ne partagent pas le même avis sur les leçons à tirer du procès du "gang des barbares", ils sont en désaccord à propos de la décision de la ministre de la Justice d'ordonner au parquet de faire appel dans certains cas (certaines peines ayant été considérées comme trop légères).
Être en désaccord, la belle affaire. Mais M. Szafran, qui s'indigne -avec raison ou pas, là n'est toujours pas la question- de certains propos de M. Adler, ne semble pas pressé de donner l'exemple de la rigueur et de la retenue. Bien au contraire: il profite de son éditorial pour reprendre à son compte de vieilles et sales accusations qui traînent sur le Crif.
Voici une description du Crif, selon le patron de Marianne:
"(...) un intouchable de la République, le Conseil représentatif des institutions juives de France"
"(...) d'un claquement de doigts, relayé par le président de la République lui-même, le Crif a obtenu que la ministre de la Justice fasse appel du jugement. En gonflant ses biceps, en faisant jouer sa force, son influence, la crainte qu'il provoque, le bras politique des Juifs de France a mis en place une implacable machine à fabriquer de... l'antisémitisme"
Accuser le CRIF de générer l'antisémitisme, ce serait du même niveau qu'accuser Barack Obama de provoquer le racisme antinoir aux USA.
Voici quelques extraits d'une dépêche AFP toute récente:
"Les groupuscules d'extrême droite, qui n'ont toujours pas digéré l'élection du premier président noir des Etats-Unis, connaissent un nouvel essor dans le pays après une décennie de déclin, selon une étude publiée mercredi"
(...)
"C'est la croissance la plus importante à laquelle nous ayons assisté depuis 10 ou 12 ans"
(...)
"En début d'année, un rapport interne du gouvernement fédéral avait d'ailleurs averti que le marasme économique et l'élection de Barack Obama constituaient un terreau très propice au recrutement de nouveaux militants"
Ce serait évidemment totalement crétin. M. Obama n'est pas responsable de l'essor de l'extrême droite américaine, il ne "fabrique" pas le racisme antinoir dans son pays. De la même manière, le CRIF n'a jamais "fabriqué" la moindre once d'antisémitisme en France, comme l'écrit sans trembler Maurice Szafran.
Il n'est guère surprenant de voir une association "antisioniste" proférer ce genre de bêtises. Mais il est tout simplement hallucinant de voir le pdg de Marianne adopter un mode de pensée aussi vicié. Sa colère contre Alexandre Adler et sa chronique l'a-t-elle à ce point aveuglé?
Il me semble utile de rappeler certaines vérités élémentaires (enfin... elles ne sont pas élémentaires pour tout le monde, de toute évidence) :
- le Crif a parfaitement le droit -et je pense pouvoir écrire que c'est même son devoir- d'intervenir dans les débats de société et les réflexions politiques qui l'intéressent (au risque de se faire critiquer)
- le Crif a parfaitement le droit de ne pas suivre les opinions des éditorialistes de Marianne (et vice versa)
- le "bras politique des Juifs de France" a parfaitement le droit d'interpeller le gouvernement, le parlement, la présidence, le Pape ou le poinçonneur des Lilas, si ça le chante
- le Crif a parfaitement le droit d'émettre des communiqués de presse et de les diffuser (et il est permis de ne pas les publier)
- l'exercice de ces droits, qui ne sont nullement propres au Crif, ne saurait susciter (générer, fabriquer...) de l'antisémitisme
- il ne sert à rien de rechercher la cause de l'antisémitisme dans le comportement de la victime de l'antisémitisme (2) : la cause ultime de l'antisémitisme réside dans le cerveau de l'antisémite.
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(1) Ce que révèle l'affaire Fofana.
(2) De même que la femme n'est pas la cause du viol; l'égalité homme-femme n'est pas la cause des violences conjugales; le mariage des couples de même sexe n'est pas la cause de l'homophobie, etc.
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